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Par Jocelyn Létourneau

À l’occasion de la Fête des Patriotes, le 18 mai dernier, Pierre-Karl Péladeau déclarait sans ambages : «Si les Québécois connaissaient bien leur histoire, ils seraient indépendants». Il ajoutait : «Dieu sait si les commentateurs sont nombreux à nous reprocher de parler de notre histoire, de parler de la bataille des Plaines d’Abraham, de parler du Traité de Paris. Pourtant, c’est ce qui nous motive encore aujourd’hui à continuer à nous battre.»[1]

Dans un éditorial où il identifiait les défis à venir du nouveau chef du PQ, Antoine Robitaille affirmait de son côté, après avoir vanté l’«enracinement» de PKP et son amour de l’histoire, que pour faire croître le sentiment souverainiste au Québec, «M. Péladeau devra réussir à communiquer son patriotisme.»[2]

L’une et l’autre position devrait inquiéter.

L’APPEL DE L’HISTOIRE

En prétendant que les Québécois ne connaissent pas leur histoire, PKP répète le poncif de la Coalition pour l’histoire et le truisme de son membre le plus influent, Éric Bédard, avec qui il entretient des liens serrés. L’affirmation ne repose pourtant sur aucune étude sérieuse. Elle tient à l’idée que si une personne ne peut répondre à des questions triviales (par exemple : «Qui fut le premier premier ministre du Québec ?»), elle est ignare sur le plan historique. Des dizaines de recherches effectuées à travers le monde ont pourtant montré que les jeunes, en matière de connaissances et de représentations historiques, étaient bien moins incultes qu’on ne le croyait… si tant est que l’on se donnait les moyens d’accéder à leur bagage de savoirs.

Ce que j’ai fait dans le cas des jeunes Québécois[3]. Pour découvrir que non seulement ces derniers n’étaient pas amnésiques, mais que les connaissances et représentations qu’ils possédaient étaient précisément – beau paradoxe ! – celles que MM. Péladeau et Bédard voulaient leur inculquer sans ménagement, que ce soit par le biais de L’histoire du Québec pour les Nuls, à travers le programme d’histoire en voie d’élaboration ou par des usages du passé aussi critiquables que ceux mis en avant par le gouvernement Harper[4].

Le défi de l’enseignement de l’histoire à l’école n’est pas de faire des jeunes des férus de l’indépendance nationale, mais, entre autres choses, de développer leur esprit critique par rapport à toute vision qui se donne pour évidente et qui vise à les transformer en petits patriotes embrigadés dans quelque idée, dessein ou destin à tout prix.

L’APPEL AU PATRIOTISME

La question du patriotisme est celle qu’Antoine Robitaille, dans un dilettantisme surprenant, abordait dans un éditorial récent du Devoir. Avançant (de nouveau) l’idée que les Québécois, les jeunes en particulier, étaient en voie de déracinement et qu’ils se complaisaient dans l’avenir, dans l’international et dans l’indifférence (mais où trouve-t-on des preuves de tout cela ailleurs que chez les essayistes aux idées surfaites ?), il posait une question de militant : «Comment prôner la souveraineté du Québec en cette époque oublieuse, en cette nation qui semble se désintéresser d’elle-même et de son État ?»

Sa réponse, qu’il suggérait d’ailleurs à M. Péladeau, était la suivante : en affermissant le patriotisme des jeunes – par l’histoire peut-on penser, M. Robitaille ayant été un farouche partisan des idées prônées par la Coalition pour l’histoire[5] ; M. Robitaille ayant également, en marge de l’événement Le Moulin à paroles, sur les plaines d’Abraham les 12 et 13 septembre 2009, écrit ces lignes qui secouent : «Samedi et dimanche, une chose rare s’est fait voir : un public respectueux, attentif, presque studieux. C’est ce qu’on devrait prendre le temps de faire dans les écoles : lire des textes. Donner la parole à nos grands morts : ce sont les meilleurs professeurs. Un peuple qui ne connaît pas ses morts a du mal à vivre.»[6]

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La convergence des idées de MM. Péladeau et Robitaille interpelle : est-on sur le point, au Québec, de revenir à une conception de l’histoire et de son enseignement qui visent à raviver le patriotisme des jeunes et leur amour des morts en vue de les amener, pour le dire comme l’ancien ministre Pierre Duchesne, qui voulait instaurer un cours d’histoire nationale obligatoire dans les cégeps, « à faire des choix porteurs pour la société québécoise ?»[7]

Si la réponse à cette question est Oui, l’horizon s’annonce brun.

[1]Philippe Teisceira-Lessard, «Le PQ doit parler d’histoire, dit Péladeau», La Presse, 18 mai 2015.

[2]Antoine Robitaille, «Deux défis», Le Devoir, 19 mai 2015.

[3] Jocelyn Létourneau, Je me souviens. Le passé du Québec dans la conscience de sa jeunesse, Montréal, Fides, 2014.

[4] Yves Frenette, «L’embrigadement du passé canadien. Les politiques mémorielles du gouvernement Harper», Annales canadiennes d’histoire, 49 (printemps-été 2014), p. 31-47.

[5] Jocelyn Létourneau, «La renationalisation de l’histoire québécoise. Chronique d’une OPH (Opération Publique d’Histoire), de son initiation à sa consécration».

[6] Antoine Robitaille, blogue «Mots et maux de la politique», Le Devoir, 14 septembre 2009.

[7]Ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche, de la Science et de la Technologie, «Implantation d’un cours d’histoire du Québec contemporain au collégial», communiqué de presse, s.d. [septembre 2013], 2 pages.

 

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Dans: Histoire du Québec

On dit des jeunes Québécois qu’ils sont ignorants du passé de leur société. Posée comme grave, la situation tracasse d’ailleurs bien des intervenants. Dans l’inculture historique réputée de la nouvelle génération, nombreux sont les enseignants, éditorialistes, chroniqueurs ou historiens qui pressentent la perte des repères communs, la fragmentation de l’identité collective et le déclin du patriotisme national.

Là ne s’arrête pas l’inquiétude. À Québec comme à Ottawa, gouvernants et décideurs se montrent en effet fort préoccupés de ce que les moins de 25 ans ne sachent pas, par exemple, qui fut le premier premier ministre du Québec ; aient oublié les victoires de Pierre Le Moyne d’Iberville à la baie d’Hudson au XVIIe siècle ; ne se passionnent pas pour le rappel de la guerre de 1812 ; ou restent indifférents à la chronique des débats constitutionnels ou parlementaires. Pour affronter le problème, ils imaginent toutes sortes de solutions : révision des programmes d’histoire, mise sur pied de comités d’études, multiplication des sites de diffusion d’histoire, instauration de cours obligatoires, commémorations et célébrations tous azimuts, expositions et reconstitutions historiques, émissions de timbres et de pièces de monnaie portraiturant de grandes figures héroïques ou symboliques…

Le caricaturiste Garnotte, dont le dessin est reproduit en page couverture, avait-il raison de dépeindre les jeunes Québécois d’aujourd’hui comme de pauvres ignares qui, interrogés sur l’identité de Jacques Cartier, de Jean Talon, de Louis-Hippolyte La Fontaine, de René Lévesque et des Patriotes, ne trouvaient mieux à répondre qu’un pont, un marché, un hôpital, un boulevard et un club de football ?

Pour lire la suite de l’introduction, cliquer sur l’image suivante

flipbook introduction

 

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