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Un sondage CROP-La Presse mené auprès de 500 jeunes appartenant à la “génération” des 18-24 ans a suscité plusieurs commentaires dans les médias le mois dernier.  Selon le principal résultat du sondage, la génération des 18-24 ans voterait massivement Non lors d’un hypothétique référendum. Comme l’écrivait Katia Gagnon qui a piloté une série d’articles au sujet du sondage : “69% des [500] répondants auraient voté Non à un référendum sur la souveraineté.” Comment expliquer cet appui au Non ?

Les jeunes ont offert une piètre performance à une question évaluant leurs connaissances historiques. Ainsi, pour des commentateurs, la méconnaissance de l’histoire du Québec expliquerait le désintérêt de la jeunesse envers l’option indépendantiste.  Or, comme d’habitude, ces commentateurs se concentrent uniquement sur les “trous de mémoire” et négligent de décrire ce que savent effectivement les jeunes à propos de l’histoire du Québec.

Commençons par le “trou de mémoire”. Le sondage évaluait les connaissances historiques des jeunes en demandant à ces derniers de classer en ordre chronologique six événements liés à l’histoire (politique) du Québec.

  1. La crise d’octobre
  2. Le premier gouvernement du Parti Québécois
  3. La proclamation de la charte des droits et libertés du Canada
  4. L’accord du Lac Meech
  5. Le référendum de Charlottetown
  6. Le deuxième référendum sur la souveraineté du Québec

Seuls 4% des jeunes interrogés ont été capable de classer ces six événements en ordre chronologique. Plusieurs commentateurs vont utiliser ce résultat (4%) pour s’expliquer la réticence des jeunes envers le projet d’indépendance du Québec.

Selon le président de la Société Saint-Jean-Baptiste, le résultat du sondage illustre le besoin des jeunes d’être mieux informés à propos du projet indépendantiste. « Il est faux, archifaux, de dire que les jeunes ont renoncé au projet d’indépendance. Par contre, il est plus exact d’affirmer que les jeunes n’ont pas été encore suffisamment éclairés sur ces enjeux, comme le démontre d’ailleurs de manière inquiétante le faible pourcentage (4%) de répondants au sondage CROP qui ont réussi à replacer dans l’ordre chronologique différents événements ayant marqué notre histoire. Et si ces jeunes étaient mieux informés, à l’école notamment, et moins désinformés? Telle est la question à se poser.»

Pour l’ex-animateur de radio Gilles Proulx, l’ignorance de la jeunesse favorise le fédéralisme défendu par le Parti libéral du Québec : «L’inculture et l’ignorance font pourtant le jeu du PLQ des “vraies affaires” dont le fond de commerce électoral est l’ensemble de ceux qui ne se sentent pas Québécois ou qui se définissent contre lui.»

Enfin, après avoir constaté que les jeunes ne sont plus souverainistes, le sociologue Mathieu Bock-Côté ajoute dans son blogue du Journal de Montréal : «Il se peut aussi que l’inculture historique terrifiante de la jeune génération et ses convictions politiques ne sont probablement pas sans liens.»

Les constats d’ignorance sont à nuancer à plusieurs égards. Des études illustrent qu’une bonne partie de la jeunesse québécoise envisage le passé du Québec par le prisme de l’histoire politique, par la dualité anglophone-francophone et par les tribulations entourant la question nationale (Je me souviens?). Il est aussi vrai de dire que les jeunes connaissent peu la date exacte et l’ordre chronologique précis de plusieurs événements historiques. Par contre, la relation entre l’appui au projet d’indépendance et la connaissance de l’histoire est un sujet encore peu exploré. En ce sens, les commentateurs du sondage CROP-La Presse, comme bien d’autres, postulent sans le démontrer empiriquement une relation entre l’appui à l’indépendance et la connaissance de l’histoire du Québec.

Fait intéressant, ces commentateurs n’ont pas abordé une question du sondage qui illustre le lien entre la connaissance de l’histoire et l’appui au projet indépendantiste. Outre la tâche de classer des événements en ordre chronologique, on invitait aussi les jeunes à se prononcer sur l’effet qu’ont eu sur le Québec dix événements historiques. Les répondants devaient choisir entre trois options : un effet 1) “positif” 2) “négatif” 3) “Je ne le connais pas”. Dans le tableau suivant, nous avons compilé les pourcentages récoltés par l’option “Je ne le connais pas”.

Sondage CROP-La Presse auprès de 500 jeunes : Pourcentage de l’échantillon qui a répondu « Je ne le connais pas » à la question portant sur l’effet d’événements historiques sur le Québec

Effet de ces événements sur le Québec /// Réponse : Je ne le connais pas

Individualistes

         (N=159)

Nouveau Québec inc.

(N=109)

Souverainistes-progressistes

(N=98)

Néo-Trad

(N=134)

La crise d’octobre

45%

26%

18%

33%

La conquête

49%

31%

34%

46%

La révolte des patriotes

46%

22%

11%

27%

La premier gouvernement du Parti Québécois

38%

25%

10%

23%

La révolution tranquille

43%

16%

6%

28%

Le deuxième référendum sur la souveraineté du Québec

37%

16%

8%

21%

L’accord du Lac Meech

62%

46%

42%

60%

Le référendum de Charlottetown

60%

55%

40%

63%

La conscription lors de la seconde guerre mondiale

47%

27%

24%

36%

La proclamation de la charte des droits et libertés du Canada

28%

12%

4%

9%

Pour comprendre le tableau, il faut voir que les jeunes y sont classés en quatre groupes distincts : les Individualistes, le Nouveau Québec inc., les Néo-Trad, ou les Souverainistes-progressistes (la définition de ces groupes se trouve ici). Ce classement effectué par CROP-La Presse a été produit à partir d’une analyse factorielle. Cette analyse regroupe les jeunes selon leur patron de réponses à des questions portant sur leur attitude envers l’altermondialisme, la droite, l’ethnicité, le désir de changement, le souverainisme, l’implication sociale, la postmodernité et le socialisme. Donc, parmi les Individualistes, le Nouveau Québec inc., les Néo-Trad ou les Souverainistes-progressistes, qui sont les mieux habilités à évaluer dix événements de l’histoire du Québec ?

À la lecture de ce tableau, il apparaît que l’allégeance politique des jeunes joue un rôle important dans leur capacité à évaluer les dix événements proposés. Le tableau illustre que les Souverainistes-progressistes sont davantage familiers avec ces dix événements historiques : ils répondent moins souvent “Je ne le connais pas” que leurs compatriotes, qui eux, ne sont pas identifiés comme étant principalement indépendantistes.  Autrement dit, plus les jeunes sont indépendantistes, plus ils sont habilités à évaluer les dix événements historiques proposés. Ces événements sont surtout liés  à l’histoire politique du Québec ainsi qu’à la question nationale. Cela peut aussi signifier que les jeunes qui sont peu ou pas souverainistes sont moins familiers avec des événements majoritairement liés à la politique et à la question nationale.

Il faudrait des analyses plus poussées à partir de données originales utilisées par CROP pour corroborer nos interprétations. Néanmoins, nous avons tenté d’observer un phénomène passé sous silence par  plusieurs commentateurs : ce que savent les jeunes à propos de l’histoire du Québec. En focalisant sur autre chose que des “trous de mémoire”, on observe un lien partiel entre l’allégeance politique des jeunes et leur capacité à évaluer des événements surtout liés à la politique ainsi qu’à la question nationale.

N.-B. Le sondage CROP-La Presse a été sévèrement critiqué par certains commentateurs sur la base de son échantillonnage défaillant, ce à quoi nous pouvons ajouter deux facteurs à prendre en compte.

Via Internet, la firme CROP a interrogé 500 jeunes répartis dans l’ensemble du Québec. Il est rare d’accéder à un tel échantillonnage de 18-24 ans. Habituellement, les sondages rapportés par les médias sont effectués à partir d’échantillon d’environ 1000 adultes. Dans ces sondages appelés omnibus, on recrute un faible nombre de 18-24 ans, de manière  à représenter leur poids démographique par rapport à la population totale du Québec (9% ou environ 90 répondants).

Les sondages par Internet semblent une voie pertinente pour rejoindre les 18-24 ans. Le recrutement par Internet pose surtout problème pour les clientèles âgées qui sont moins habituées que les plus jeunes à naviguer en ligne, donc plus difficiles à rejoindre par ce moyen.

Ainsi, que l’on soit d’accord ou non avec l’interprétation des résultats du sondage, celui-ci repose sur une méthode d’échantillonnage pertinente. Suite à la lecture de notre nota bene, on comprendra mieux les propos du président de la Société Saint-Jean-Baptiste qui critique le sondage CROP-La Presse : « Il ne faut surtout pas penser que les jeunes ont abandonné le rêve d’un Québec libre. Les sondages, surtout lorsqu’ils sont non-probabilistes, non représentatifs et menés auprès de seulement 500 personnes sur internet, nous en apprennent peu sur leur sensibilité et leur potentiel à cet égard. »

Par Raphaël Gani.

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Dans: Ignorance de l'histoire du Québec

Version longue d’une lettre ouverte parue le 6 mars dans Le Devoir.

Le Rapport Beauchemin amènera-t-il une transformation importante de l’enseignement de l’histoire au secondaire ? Sans doute pas. À bien des égards, les orientations proposées par les auteurs du document sont déjà en vigueur dans les salles de classe, suggérées par le MELS lui-même, et ce depuis quelques années, dans ses documents prescriptifs touchant la progression des apprentissages.

Ainsi, bien qu’intitulé Histoire et éducation à la citoyenneté (HEC), le cours n’a jamais été autre chose qu’un cours d’Histoire du Québec et du Canada. Évidemment, la présence de faits et de dates dans la matière du cours a toujours été forte – comment a-t-on pu penser que l’enseignement de l’histoire à des gamins de 14 à 16 ans pouvait s’enliser dans l’abstraction ? La question du rapport entre connaissances et compétences, exagérée dès le départ par les critiques du programme, est en pratique réglée depuis longtemps. D’ailleurs, peut-on croire que les enseignants, qui sont des professionnels, qui ont de l’expérience et qui savent s’ajuster aux situations, n’ont pas trouvé les arbitrages convenables de méthode et de données à transmettre aux jeunes à qui ils professent ?

Et la question nationale ? Encore une fois, on a largement gonflé son absence dans le cours HEC. En fait, elle y est partout présente. Les évènements nationaux marquants, de la Conquête au moment référendaire de 1995, sont couverts dans les manuels, les cahiers d’exercice et par les enseignants. Les personnages centraux de la quête nationale québécoise, depuis Papineau jusqu’à Lévesque en passant par Mercier, Groulx, Henri Bourassa et d’autres encore, sont mentionnés. Même Riel est cité.

On peut déplorer que le Comité Beauchemin, pour établir ses diagnostics, n’ait pas cru bon de commander des études préalables, faire des enquêtes en classe ou vérifier empiriquement ce que certains affirmaient péremptoirement. Il faut dire que la marraine du comité, Marie Malavoy, était pressée…

Cliquer sur l'image pour écouter une entrevue au sujet du rapport Beauchemin

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POURQUOI RÉFORMER ?

Si, concrètement, l’enseignement de l’histoire ne changera pas vraiment en classe, les propositions du Comité vont néanmoins modifier quelques donnes. Il est par exemple assuré que les didacticiens vont être remplacés par les historiens dans l’élaboration des apprentissages et la formation des futurs enseignants d’histoire. Le travail de certains lobbies, ici, a été très efficace…

L’insistance marquée du Comité pour que la question nationale, rétablie comme principe cardinal d’intelligence de l’évolution de la société québécoise, soit mise au centre du cours d’histoire, témoigne également de la proximité idéelle de certains groupes de pression, notamment la Coalition pour l’histoire, avec le gouvernement parrain de l’entreprise révisionniste. Soit dit en passant, le contenu de la réforme proposée par le Comité Beauchemin était déjà annoncé, voire programmé, dans la plateforme électorale du PQ aux élections de 2012…

Certes, le fait que la question nationale soit portée au rang d’axe directeur et de principe organisateur du passé québécois plaira à de nombreux intervenants, voire à certains enseignants. Cela dit, la plupart resteront coi par rapport à la prescription ministérielle. Leur éthique personnelle et leur compréhension de l’histoire québécoise les mèneront à trouver des médiations nuancées entre histoire globale et question nationale.

Au total, le Rapport Beauchemin aura surtout pour effet, peu de temps avant les élections, de calmer une opinion publique remontée contre la faillite apparente du cours HEC, opinion publique amenée à croire que la jeunesse d’ici était en voie de dénationalisation, inspirée par de méchants fédéralistes, postnationalistes ou multiculturalistes ayant investi le champ de l’enseignement de l’histoire au Québec. Grâce aux recommandations du Rapport Beauchemin, croit-on sans doute, l’histoire sera de nouveau enseignée dans la perspective de l’identité à consolider.

HISTOIRE ET IDENTITÉ

La vérité est que l’histoire du Québec n’a jamais cessé d’être enseignée dans la perspective de l’identité. Si jamais l’intention des concepteurs du cours HEC était autre, il faut convenir d’une faillite magistrale. L’enquête que j’ai réalisée sur la conscience historique des jeunes Québécois montre que ces derniers (limitons-nous ici aux franco-phones), même en ayant suivi et réussi le cours HEC, continuent largement de percevoir le passé du Québec à travers le prisme du destin tragique d’une nation empêchée par l’Autre de se réaliser ou empêtrée dans ses propres hésitations à devenir.

À cet égard, on peut penser que les orientations proposées par le comité Beauchemin, nonobstant la prétention de ses auteurs, consolideront une telle conscience historique bien davantage qu’elles ne l’ébranleront. Non seulement parce que la nation et ses moments fatidiques seront mis au centre de tout, mais aussi parce que les jeunes n’apprennent pas l’histoire qu’en classe. Ils sont au contraire influencés par beaucoup de producteurs de sens historique, qu’il s’agisse de chansonniers, de réalisateurs de films, de politiciens ou de romanciers. Or, ces interprètes n’ont pas toujours le propos historique nuancé. Ensuite, les jeunes n’intègrent pas à leur conscience tout le savoir qui leur est transmis : ils l’intelligent selon leurs besoins afin de vivre efficacement et sereinement dans la société ou tout simplement pour s’en tirer à l’examen. Enfin, rares sont les jeunes qui aspirent à devenir historiens ou acquérir les méthodes exigeantes de cette discipline. Pour appréhender le passé, la plupart se contentent de visions claires, tranchées et binaires qui leur permettent de faire sens diligent de ce qui fut. Peut-on blâmer les jeunes de se livrer à ce que, comme adultes, nous faisons aussi très souvent ?

COMMENT ENSEIGNER L’HISTOIRE AUX JEUNES ?

À consulter le plan de cours et les contenus de formation proposés par le Comité Beauchemin, on n’est pas en terrain inconnu par rapport à ce qui se trouvait dans le cours HEC. Certes, le jargon est moins ésotérique et les contenus d’enseignement davantage précisés. Mais les postulats pédagogiques et cheminements d’apprentissage sont proches. On part du principe que les jeunes arrivent intellectuellement vierges en classe d’histoire et qu’ils en repartent l’esprit plein, forts de la matière ample et détaillée qui leur a été communiquée. On peut douter de ces vérités. D’une part, avant d’arriver en classe, les jeunes sont déjà habités de visions d’histoire plus ou moins fortes ; or, celles-ci sont puissantes à défaut d’être impressionnantes. D’autre part, les jeunes oublient la majeure partie de ce qui leur est transmis en classe.

Comment, dans ce contexte, enseigner l’histoire aux élèves ? Pour optimaliser l’intervention pédagogique, il faudrait peut-être partir du lieu où se trouvent les jeunes, celui de la mémoire, et partir aussi du fond de leur savoir, celui des mythistoires. Présentée vitement, l’idée consisterait, à travers ce qu’on appelle le conflit cognitif et par le biais de la méthode historique (interrogation, problématisation, contextualisation, comparaison, pluri-interprétation, etc.), à confronter les représentations acquises des jeunes pour les amener en dehors de la mémoire et du mythistoire. Une fois leurs matrices de base ébranlées, il s’agirait de leur proposer des représentations plus nuancées en terme d’exposition des faits et plus exigeantes en terme de compréhension des réalités historiques.

Dans le contexte de cette méthode, le passé serait abordé à partir des références historiques des jeunes (qui ne sont pas inexistantes, sauf peut-être chez les immigrants), références envisagées comme autant de tableaux à déboîter et à recomposer sur un mode plus nuancé et peut-être plus ambigu, mode convenant bien à la réalité du passé (mais beaucoup moins aux attentes des pouvoirs). La succession des tableaux – qui pourraient être multipliés et correspondre à autant de leçons d’histoire – serait chronologique. Les tableaux principaux pourraient être liés entre eux par des sous-tableaux d’histoire renvo-yant à des réalités non référentielles dans la conscience historique des jeunes (par exemple le régime seigneurial), mais néanmoins importantes pour comprendre certaines évidences structurantes de l’expérience québécoise. Bien sûr, les processus abstraits ou complexes seraient incarnés dans des personnages concrets (y compris des acteurs ano-nymes) et des évènements précis (incluant des évènements réputés insignifiants). L’usage d’anecdotes, qui permettent d’incarner le passé dans des idiosyncrasies signifiantes et d’accrocher en même temps l’intérêt des élèves, serait encouragé.

Cela dit, qu’on ne se méprenne pas sur les possibilités de pareille méthode : elle ne transformera pas les ados en historiens. Elle ne fera pas d’eux des encyclopédies historiques ambulantes. Elle les mènera peut-être vers des visions plus complexes des moments référentiels (et non référentiels) du passé québécois. Elle en fera peut-être des personnes un peu plus réservées, voire critiques, par rapport au savoir à caractère histo-rique qui circule dans l’espace public. Mais c’est tout. Au secondaire, il s’agit peut-être du maximum que l’on puisse atteindre.

Chose certaine, le Rapport Beauchemin ne marque pas la fin de la réflexion sur l’enseignement de l’histoire chez nous. Au mieux, il institue une pause. Il serait peut-être bon d’utiliser ce temps de grâce pour réviser les positions acquises en conservant ce que l’ont fait de bien, en continuant à s’inspirer de ce qui se fait ailleurs et en développant des façons de faire créatives, audacieuses et originales pour éduquer les jeunes.

Jocelyn Létourneau, Boursier du Collégium de Lyon, Auteur de Je me souviens ? Le passé du Québec dans la conscience de sa jeunesse (Fides)

 

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Dans: Enseignement de l'histoire du Québec Lettre ouverte