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Extrait du texte Se souvenir du Québec, par Jocelyn Létourneau.

L’HISTOIRE DU QUÉBEC DES JEUNES

Au cours des dix dernières années, j’ai mené des recherches étendues sur la mémoire que conservent, de l’expérience historique québécoise, de jeunes Québécois de 4et 5secondaire,du cégep et de l’universitéPlutôt que de les interrogersur des aspects particuliers ou circonscrits du passé, je leur ai demandé de raconter, par écrit, l’histoire du Québec comme ils s’en souvenaient ou la connaissaient, et ce, « depuis le début ».
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Au fil des ans, j’ai amassé plus de 4 000 récits d’histoire du Québec rédigés par de jeunes Québécois de différentes langues ou cultures. Il faut avouer que ces récits sont plutôt à élémentaires, voire banals, surtout s’ils proviennent d’élèves de 4e secondaire. Cela dit, à l’encontre de ce que l’on entend souvent, les jeunes Québécois ne sont pas dépourvus d’une vision générale de l’histoire québécoise. Chez les francophones, elle se présente grosso modo comme suit : à cause de l’Autre, notre destin fut dévié et notre quête collective a pris la forme d’une lutte de survivance.

raconte moi l'histoire du Québec Jocelyn Létourneau

Questionnaire utilisé

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Si l’on voulait reconstituer le récit archétypal de l’histoire du Québec tel qu’il est formulé par une très grande majorité de jeunes, qui sont évidemment francophones d’héritage canadien-français, ce récit se déroulerait selon une trame et serait articulé dans des nœuds d’intrigue propres à une histoire structurée en trois temps :
  • L’âge d’or (T1)
  • Le renversement de situation (T2)
  • La renaissance ou la restauration (T3)
  • Cette histoire déboucherait par ailleurs sur une espèce de déplorable inaccomplissement collectif conceptualisé par les répondants comme un temps d’hésitation pour les Québécois (T4)

Le récit des jeunes se déroulerait ainsi :

(T1) – L’Âge d’or. Au départ se trouve une population vivant de manière assez rudimentaire mais en paix, qui se construit un monde en français, qui subit les nuisances du régime colonial et du système mercantile sans toutefois avoir à se rebeller contre la mère-patrie, qui commerce avec les Autochtones, qui prend conscience du potentiel économique considérable du coin d’Amérique qu’elle habite, qui connaît peu de conflits internes, qui reste sous la coupe des intérêts de la métro- pole, mais qui n’a pas à se battre pour protéger ses droits et sauvegarder sa langue.

(T2) – Le retournement de destin. Puis survient le Grand basculement dont l’épisode inaugural est la Conquête de la Nouvelle-France par les Britanniques en 1759. Commence alors une histoire scan- dée par l’interminable lutte des francophones pour leur émancipation et liberté contre les tentatives continuelles d’assimilation, belliqueuses ou sournoises, que leur infligent les anglophones. C’est dans le cadre de cette dynamique conflictuelle (quête d’affirmation d’un côté et volonté d’embriga- dement soft ou hard de l’autre) que s’inscrivent les événements marquants de l’histoire québécoise entre l’Acte de Québec et la Révolution tranquille.

(T3) – Le recommencement. Les années 1960 coïncident en effet avec une période de Grand réveil collectif où les Québécois, animés par un élan nouveau, s’engagent résolument dans la moder- nité, prennent une distance salutaire par rapport à leurs figures identitaires et leurs modes d’êtres antérieurs, s’ouvrent au monde, se libèrent du joug des Anglais dont le gouvernement fédéral était devenu l’instrument privilégié d’intervention depuis la guerre et entreprennent de se réapproprier leur destin collectif. Dans cette mouvance, Jean Lesage, mais surtout René Lévesque, se révèlent des acteurs clés.

(T4) – L’hésitation. Pour différentes raisons, notamment parce que les Québécois sont divisés sur leur avenir et qu’il y a des forces, en particulier le gouvernement fédéral, qui contrarient l’avènement contenu en germe dans la Révolution tranquille (la libération des Québécois et la souveraineté du Québec), l’élan du Québec est comme brisé à l’occasion des référendums de 1980 et de 1995. S’ouvre alors une période d’incertitude, de recherche d’une voie de passage vers l’avenir, voire de tentative de redéfinition identitaire qui reste néanmoins ambiguë. C’est sur cette finale marquée par la nostalgie (« ce qui nous est malheureusement arrivé et ce que l’on aurait pu être si… ») tout autant que par l’espoir mélancolique (« ce que l’on pourrait encore devenir si… ») que se clôt la narration des jeunes.

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