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Éric Bédard est l’historien public numéro un au Québec. Il occupe un poste d’animateur à MAtv.  Son ouvrage l’Histoire du Québec pour les Nuls est un succès de librairie. Il donne un cours en ligne, ouvert à tous. Ses chroniques publiées dans le Journal de Montréal rejoignent un large public. Bédard est bien placé pour observer le rapport à l’histoire chez les Québécois. Depuis quelques années, l’historien nuance son opinion à ce sujet, notamment à l’égard d’une idée populaire : la Grande Noirceur.

D’abord, Éric Bédard fait paraître en 2011 un essai au sujet du rapport à l’histoire chez les Québécois, Recours aux sources. L’essai débute par cette citation en exergue provenant de l’historien Michel Brunet :

Le fait brutal, c’est que nous n’aimons pas notre passé

L’essai s’amorce ensuite avec ces paragraphes :

C’est de notre rapport au passé qu’il sera question dans ce livre. Je constate, trente-cinq ans après l’historien Michel Brunet, que la plupart des Québécois n’aiment toujours pas leur passé. Pourquoi?

L’année 2010 a marqué le cinquantième anniversaire de la Révolution tranquille. Pour la grande majorité des Québécois, 1960 constitue l’an zéro du Québec «moderne», c’est-à-dire du seul vrai Québec qui nous ressemble et qui nous intéresse. Au centre de notre mémoire collective trône toujours cette embarrassante «Grande Noirceur» qui, pour certains, se confond avec le régime de Maurice Duplessis et, pour d’autres, avec toute l’histoire d’un Canada français clérical, ethnique et traditionaliste. Nous sommes au coeur du problème.

[…]

Cinquante ans après le début de la Révolution tranquille, l’idée de Grande Noirceur semble avoir été complètement intériorisée.

L’auteur nuance néanmoins son propos à la fin de l’introduction :

Si, au fil des années et des événements, j’ai exploré notre rapport trouble au passé, déconstruit certains discours sur la Grande Noirceur, montré avec d’autres les impasses vers lesquelles nous menait ce reniement de soi, c’est aussi parce que j’ai toujours eu la conviction que mes contemporains, peut-être plus nombreux parmi les jeunes générations, ressentaient le besoin d’envisager autrement leur aventure collective.

Par la suite, l’historien écrit son Histoire du Québec pour les Nuls parue en 2012. Il écrivait alors :

Trop de Québécois semblent croire que leur passé se résume à une désespérante “Grande Noirceur”, sans grand intérêt pour le présent et pour l’avenir. Grave erreur…

Peu après, Éric Bédard proposait une opinion plus nuancée en spécifiant à un collègue historien le but de son essai Recours aux sources  :

Le projet de Recours aux sources visait aussi à souligner que, malgré ce rapport vicié au passé, largement répandu chez nos élites, plusieurs Québécois restent attachés à une certaine continuité historique. C’est du moins ainsi que j’explique, dans mon premier chapitre, l’immense succès de la chanson Dégénérations du groupe Mes Aïeux en pleine crise des accommodements raisonnables. Le rapport plus empathique au passé et aux ancêtres a visiblement touché une corde sensible. Le succès populaire qu’a connu la série Duplessis, diffusée la première fois en 1978, est aussi un signe que les Québécois étaient prêts à reconsidérer le mythe de la Grande Noirceur.

En janvier 2015, sur le site de la revue l’Actualité , Bédard débutait son billet de blogue par…

C’est une jérémiade incessante, surtout dans les milieux nationalistes : les Québécois seraient devenus amnésiques. Ils ne connaîtraient plus ni les grands personnages ni les grandes dates de leur histoire. «Je me souviens» ? Allons donc ! La devise nationale aurait perdu son sens.

Il m’arrive de partager ce pessimisme… Je suis souvent frappé par la rareté des références au passé dans nos débats politiques et sociaux, du moins si je nous compare aux Français ou aux Américains.

Il m’arrive aussi de penser que le mythe de la Grande Noirceur, tel un torrent violent ayant tout emporté sur son passage, nous aurait rendus étrangers à nous-mêmes.

La riposte populaire suscitée par le projet hasardeux du ministre conservateur Denis Lebel de transformer le pont Champlain en pont Maurice-Richard a eu quelque chose de rassurant. Elle montre que les ressorts de la mémoire collective des Québécois ne sont pas brisés.

Bédard revisite la Grande Noirceur à travers différents textes et niveaux de certitude. Ce faisant, il nous invite à continuer l’important dialogue à propos d’une idée populaire encore d’actualité.

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Dans: Histoire du Québec

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*Écrit le 30 juin; voir ajouts d’aujourd’hui.*

La dénomination du nouveau pont Champlain provoque la polémique.

D’abord, le ministre responsable de la construction du pont voudrait rebaptiser celui-ci.

«Denis Lebel a toujours dit que le nouveau pont ne s’appellerait pas Champlain, mais aucun nom n’a encore été retenu. « On n’est pas rendus là encore », a-t-il indiqué, en précisant que le nom de Maurice Richard lui avait souvent été suggéré. « Je ne veux pas soulever de polémique », a-t-il ajouté

Des chroniqueurs comme Mathieu Bock-Côté plaident pour conserver le nom du pont Champlain. Sur son blogue, Bock-Côté défend sa position :

«Ce serait une erreur [rebaptiser le pont Champlain], et une triste erreur, car ainsi, on contribuerait encore un peu plus à l’évacuation de ce qui reste de la mémoire de la Nouvelle-France dans le paysage public québécois. En fait, on tient généralement cette mémoire pour morte. Les Québécois sont de plus en plus étrangers à la mémoire de la Nouvelle-France, d’autant qu’à l’école même, dans l’enseignement de l’histoire, elle ne subsiste, bien souvent, qu’à travers quelques préjugés aussi débiles que négatifs, s’alimentant à ce qu’on appelle la mauvaise conscience occidentale. L’apprentissage de la honte commence tôt, au Québec

Cette polémique soulève l’enjeu de l’importance de Samuel de Champlain pour les Québécois. Dans le livre “Je me souviens?”, Létourneau rapporte une enquête qu’il a menée en 2004 au Musée de la civilisation auprès de 484 adultes et incluant la question suivante :

“Identifiez jusqu’à 10 personnages qui, selon vous, ont été au coeur de l’histoire du Québec depuis le début jusqu’à nos jours.”

Le principal résultat? Samuel de Champlain est numéro 1.

Cette enquête donne de la matière à penser pour ceux qui veulent rebaptiser le pont Champlain ou qui affirment que “les Québécois sont de plus en plus étrangers à la mémoire de la Nouvelle-France”.

*Ajouts

Lors du 400e anniversaire de la ville de Québec, le premier ministre Harper déclarait:

Le gouvernement conservateur reconnaît la place importante occupée par Champlain dans l’histoire. Néanmoins, le journaliste Denis Lessard annonçait hier que Maurice Richard serait le nom du nouveau pont construit à côté du pont Champlain, celui-ci étant appelé à disparaître. Cette décision proviendrait du ministre Denis Lebel, lieutenant du Québec au sein du gouvernement de Stephen Harper.

Dans un article de Radio-Canada, on précise que cette décision s’expliquerait ainsi :

«Le ministre fédéral de l’Infrastructure, Denis Lebel, aura finalement gain de cause, lui qui était partisan de cette idée [un nouveau pont nommé Maurice Richard] depuis deux ans, suivi, semble-t-il, par une majorité chez les groupes cibles interrogés

Le ministre n’a pas encore confirmé officiellement la nouvelle rapportée par Denis Lessard.

Cette nouvelle a provoqué plusieurs réactions au sujet de la place de Maurice Richard dans la mémoire collective québécoise et canadienne. Par exemple, l’historien Denis Vaugeois a déclaré :

«Ce n’est pas le hockeyeur dont on se souvient, mais la source des plus grandes émeutes de l’histoire du Québec, c’est ce dont les gens se souviennent ! Je suis étonné qu’Ottawa ait fait ce choix !»

On peut penser que l’opinion des gens à l’égard de Maurice Richard (et de Champlain) a influencé le ministre Lebel. Ce dernier aurait basé sa décision notamment sur les résultats d’une enquête auprès de «groupes cibles». Outre ces groupes cibles, plusieurs enquêtes ont révélé la place de Maurice Richard et de Champlain dans la mémoire collective des Québécois et des Canadiens. Quels sont les résultats de ces enquêtes ?

  • Dans l’enquête menée par Létourneau auprès de 484 visiteurs du Musée de la civilisation, M. Richard arrive au 16e rang des personnalités “qui ont été au coeur de l’histoire du Québec”.
  • Un sondage Léger marketing/Journal de Montréal auprès de 1002 répondants en 2014 illustre que:
  1. Maurice Richard arrive au troisième rang des personnalités les plus marquantes des 50 dernières années (toutes catégories confondues); il récolte 5% des votes.
  2. Le Rocket est jugé comme étant la personnalité sportive la plus marquante du dernier demi-siècle, récoltant 62% des votes.
  • Benoit Melançon, auteur du livre Les yeux du Maurice Richard, rapportait sur son fil Twitter :

«Début octobre, les lecteurs du @huffpostquebec préféraient le pont Champlain au pont Maurice-Richard.»

  • En juin 2014, la chroniqueuse Josée Legault a demandé aux lecteurs de son blogue du Journal de Montréal:

«Quel est la personne ou les personnes qui, au Québec, vous ont le plus inspiré ?»

Une centaine de lecteurs ont répondu à l’appel. Maurice Richard récolte 2 votes (Champlain, 1).

«Les données portant sur les personnages cités font ressortir, chez les élèves de 4e secondaire autant que chez ceux de 5e secondaire, la notoriété de Cartier et de Champlain dans l’histoire québécoise [ce sont les personnages les plus cités]. On peut penser que l’un et l’autre personnages, chacun à sa manière, est associé à une vision d’inauguration ou de fondation, de commencement formel ou de genèse […].»

Cette recension d’enquêtes permet de mettre en perspective certaines évidences au sujet de la place de Maurice Richard et de Champlain dans la mémoire collective québécoise et canadienne. À première vue, il semble que Maurice Richard soit davantage (re)connu que Champlain à l’extérieur du Québec. Au Québec, Richard et Champlain occupent une place importante dans la mémoire collective. Par contre, ces intuitions (à chaud) devraient être appuyées par une analyse plus fine des enquêtes disponibles ou non recensées. Par contre, on peut déjà douter de la validité de propos qui vont dans ce sens:

«Nous savons finalement que le nouveau pont Champlain s’appellera… Maurice Richard. […] À croire que le choix s’est fait après un Vox-Pop de Guy Nantel… Champlain, c’est qui ça déjà ?»

Ou,

Champlain n’est certes pas inconnu, mais il est peut-être méconnu par rapport à son importance. Comme s’il ne s’inscrivait que dans la succession de noms propres et de dates formant le degré zéro de notre conscience historique.”

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Dans: Je me souviens

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